“Voyages en Italie” : les vacances douces-amères de Sophie Letourneur et Philippe Katerine

On ne part jamais en vacances, les vacances n’existent pas : on ne peut, au mieux, que se déplacer un certain temps dans le décor d’une représentation construite des vacances que l’on va tâcher de performer à défaut de pouvoir vraiment la vivre,...

“Voyages en Italie” : les vacances douces-amères de Sophie Letourneur et Philippe Katerine

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On ne part jamais en vacances, les vacances n’existent pas : on ne peut, au mieux, que se déplacer un certain temps dans le décor d’une représentation construite des vacances que l’on va tâcher de performer à défaut de pouvoir vraiment la vivre, à tout le moins pour le plaisir de plus tard la expliquer – aux autres ou à soi-même. De cette vérité bien connue, Sophie Letourneur a fait un film, et lui a donné un titre où tout se joue dans le pluriel. Il y a donc à la base Sophie et Jean-Philippe (Philippe Katerine), couple parisien abîmé par le temps et la parentalité, caractéristique d’une classe moyenne éduquée, culturellement privilégiée et matériellement désargentée, qui est aussi celle de la réalisatrice (elle joue le personnage principal auquel elle donne son prénom).

Ensuite, il y a les voyages. D’abord celui que Sophie et Jean-Philippe rêvent de faire pour raviver leur amour fané, invoquant depuis leur quotidien le nom d’un pays qui va activer chez elle et lui tout un univers mental fait de quelques souvenirs, beaucoup de fantasmes, mais aussi d’une certaine part de cinéphilie, appelée à tristement s’échouer sur l’insignifiance et le consumérisme du réel (Stromboli, ou Vacances romaines, qu’il n’est pas toujours évident de revivre sur un scooter de location sicilien).

Une version indie hirsute des “Bronzés”

Et puis il y a celui que le couple va vivre, et qui ressemble le plus authentiquement à la pochade promise au public auquel Sophie Letourneur se frotte désormais et qui avait en partie rejeté son précédent long Énorme (2020, fausse comédie de grossesse, vrai film monstrueux et fou) : une comédie de la normalité voire de la médiocrité, du tourisme nul, du corps qui pendouille, de l’italien LV3 baragouiné en terrasse – bref, une version indie hirsute des Bronzés.

Enfin, il y a le voyage que l’on explique : un dernier tiers où les amant·es se refont le film de cette expérience raisonnablement profitable (si le couple ne s’est pas entretué, c’est donc qu’il s’aime), consacrant leur 1ère nuit parisienne à reconstituer par le détail leurs souvenirs – très belle idée bégayante que cette longue coda qui aurait pu être celle d’un film de Hong Sang-soo ou de Luc Moullet.

Pourtant, quelque chose avance

Letourneur réussit une parodie de la société de loisirs à la fois tout à fait au niveau des attentes du genre (rire toutes les deux minutes, se reconnaître dans des situations médiocres à peine exagérées) et remarquablement riche sur la question du voyage comme récit de soi et comme mise en scène. Voyage qui est finalement la modalité de son récit multicouches, mais pas tant son sujet – ce serait plutôt le couple, dont Letourneur fixe une image très cruelle et juste.

Royaume marécageux de l’hésitation et de la contradiction, où la personne que l’on aime est d’abord celle à qui l’on dit toujours “non” mais où, à force de le faire, plus personne ne sait vraiment situer sa propre volonté. Pourtant, quelque chose avance. Les disputes obtuses des Scènes… de Bergman ne sont pas si loin de ce sec exposé conjugal et achèvent de compléter la très noble généalogie cinéphilique de ces Voyages en Italie.

Voyages en Italie de Sophie Letourneur, avec elle-même, Philippe Katerine (Fr., 2023, 1 h 31). En salle le 29 mars.