Young Fathers : “On continue à donner du fil à retordre à ceux qui veulent nous mettre le grappin dessus”

Cinq ans. Une demi-décennie sépare Heavy Heavy (2023) de son prédécesseur Cocoa Sugar (2018), ce qui pourrait être synonyme de suicide commercial, à notre époque où il faut constamment occuper le terrain avec des singles, des mixtapes ou des...

Young Fathers : “On continue à donner du fil à retordre à ceux qui veulent nous mettre le grappin dessus”

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Cinq ans. Une demi-décennie sépare Heavy Heavy (2023) de son prédécesseur Cocoa Sugar (2018), ce qui pourrait être synonyme de suicide commercial, à notre époque où il faut constamment occuper le terrain avec des singles, des mixtapes ou des versions augmentées d’albums sortis quelques mois auparavant. Mais les membres de Young Fathers s’en moquent, ils ont préféré vivre et voyager plutôt que d’enchaîner mécaniquement.

L’un, Kayus, est allé en Éthiopie et au Ghana ; un autre, Graham, a découvert la paternité. Toutes ces expériences et sensations se retrouvent remixées et éparpillées dans le quatrième album du trio écossais qui, de toute façon, s’est habitué, depuis vingt ans, à devoir se battre pour s’imposer.

Kayus Bankole, Graham Hastings et Alloysious Massaquoi se sont rencontrés sur un dancefloor, celui d’une soirée pour ados fans de hip hop à Édimbourg. “C’était juste des gamins qui se réunissaient dans une cave, se souvient Kayus. La connexion entre nous s’est opérée là. Graham nous a dit qu’il avait un enregistreur et on s’est retrouvé chez lui pour créer nos 1ers morceaux.”

Alloysious détaille le bain musical dans lequel les trois baignaient. “Durant notre enfance et notre adolescence, on a ingéré beaucoup de musiques différentes. Il y avait d’abord celles que nos parents écoutaient, dans ma maison de la musique africaine, du gospel, du reggae ou de la soul. Quand tu vas à l’école, tu découvres ce qu’aiment tes camarades. Même si tu n’apprécies pas, ça fait son chemin dans tes oreilles. C’est ainsi que l’on a construit nos propres goûts.”

Des débuts chaotiques

À 15 ans, la bande est repérée par des producteurs et le chemin vers la célébrité semble royal. “Nos parents et nos tuteurs ont signé notre contrat à notre place vu que l’on était mineurs, précise Kayus. Nous avons été exposés très jeunes à la face sombre de l’industrie musicale, à l’industrialisation. Cette mauvaise expérience nous a d’abord montré qu’il ne fallait pas forcément faire confiance aux adultes mais aussi que l’on devait se salir les mains. Il valait mieux filmer nos propres vidéos afin de construire notre univers plutôt que de laisser d’autres le faire à notre place.” Alloysious ajoute : “Heureusement, tout ce qui a été filmé et enregistré à cette époque n’est jamais sorti. Sinon, ça aurait changé notre histoire. Il a fallu attendre Take One et Take Two pour que les choses changent.”

En 2012, le label californien Anticon, repaire du hip hop indie US, flashe sur les deux mixtapes précitées, un gage de qualité. “Nous avions encore des jobs à mi-temps, c’était difficile de rester créatif, précise Kayus. Que des gens croient en nous, qu’un label nous donne notre chance et que les portes s’ouvrent légèrement aux États-Unis, le centre névralgique de la pop culture, ça offre la meilleure combinaison pour se concentrer à temps plein sur notre musique.”

Depuis, Young Fathers n’a jamais arrêté et trouvé le parfait refuge avec Big Dada, maison britannique qui a favorisé l’émergence du grime et du hip-hop local. Par association et effet de facilité, le trio se trouve étiqueté hip-hop, à son grand dam. “C’est sûr que ça ne nous a pas rendu service, juge Alloysious. À partir du moment où on te qualifie de hip-hop, ça te coupe de toute une partie du public. Ce qui n’a jamais été ce à quoi nous aspirons. Nous avons toujours voulu toucher le plus de gens possible. Notre inspiration a toujours été plus grande que la case où on a voulu nous mettre. À l’époque, oui, nous classer dans le hip-hop nous semblait injuste, même si on se retrouvait dans le côté DIY de cette musique et sa conscience d’appartenir à un environnement.”

Kayus réagit : “Le punk rock a aussi une esthétique DIY qui nous cause, même si notre musique ne sonne pas comme du punk !” Alors que les playlists paraissent de plus en plus métissées, Young Fathers se heurte toujours à un mur. “Oui, ce malentendu à notre sujet existe toujours, regrette Alloysious. Nous comprenons que, pour les journalistes et le public, c’est plus facile de nous coller une étiquette. Mais nous continuons à donner du fil à retordre à ceux qui veulent nous mettre le grappin dessus.”

Le succès de Dead (2014), récompensé par le prestigieux Mercury Prize, n’a pas tant rebattu les cartes. La frustration est restée longtemps tenace. “C’est devenu tellement gênant que l’on a mis un sticker sur un de nos disques ‘à classer en rock et pop’, s’agace Kayus. Juste pour élargir le spectre et multiplier les portes d’entrée. Bon, maintenant, on se moque un peu du rayon où on nous classe.”

Dans le remuant Heavy Heavy, on retrouve intact le talent de Young Fathers pour brasser dans la même mixture syncopes piquées à la musique africaine, textures électroniques et éclairs post-punk comme, avant eux, les Américains TV On the Radio. Dans I Saw, à la fois furibard et mélodique, le groupe évoque le Brexit tandis que Rice, en ouverture, s’inspire de la situation de certains pays africains dont on pille les ressources.

Élan spontané

Mais le trio le promet, rien n’est planifié. “On ne fait jamais l’effort conscient de refléter telle ou telle chose dans notre musique, certifie Alloysious. On a des conversations avec des gens qui sont d’accord avec nous ou pas du tout. Nous sommes comme des pies collectionneuses et, quand on est en studio, on lâche tout.

Dans Heavy Heavy, tu entends des échos de ce qui s’est déroulé lors des dernières années, ce que l’on a à l’esprit, nos situations personnelles ; le fait, par exemple, d’avoir des responsabilités financières. Mais on ne décide jamais d’écrire à l’avance une chanson sur tel ou tel sujet. Notre processus est beaucoup plus organique.”

Cette facilité à s’exprimer sans filtre et sans filet, le trio l’explique par les possibilités offertes par leur studio. Localisé dans la zone d’Édimbourg, rempli de claviers et de machines, il y règne un esprit tourné vers l’improvisation désinhibée.

“Dans notre studio, tout est en marche, prêt à être enregistré, explique Kayus. Normalement ce sont les 1ères prises que nous conservons, car c’est très difficile de reproduire les moments qui constituent Young Fathers. Tu as remarqué que, quand tu prends une personne en photo et qu’elle en est avertie, elle commence à poser, elle change son comportement ? Une photo de la même personne, prise sur le vif, reflète mieux cette essence que tu essayes de capturer. Ces moments de sincérité sont difficiles à capturer, c’est pour ça que l’on essaye toujours d’être le plus spontané possible.”

Certainement qu’en concert à Paris, ce vendredi 24 février, la bande prouvera en live son goût pour la performance et exprimera ce qui lui passe par la tête.

Heavy Heavy (Ninja Tune/PIAS). Sorti depuis le 3 février. Concert le 24 février à Paris (Élysée Montmartre).